Repenser l’information quantique et l’intrication à la lumière de Simondon

Bruno Bachimont (SU, UTC, Costech) – porteur

Vincent Bontems (CEA-Mines ParisTech) – co-porteur

Christian de Ronde (CONICET)

RÉSUMÉ : Au XXIe siècle, l’un des champs de recherche technologique révolutionnaire les plus importants est le vastedomaine relevant du traitement de l’information quantique. Ce terme recouvre différentes applications non classiques exceptionnelles telles que, par exemple, la téléportation quantique, le calcul quantique et la cryptographie quantique. Sans exception, toutes ces nouvelles technologies sont fondées sur la notion d’intrication, qui remonte à de célèbresarticles d’Albert Einstein et d’Erwin Schrödinger écrits dans les années 1930, mais qui n’ont commencé à êtresérieusement envisagée par les physiciens qu’au cours des années 1990. C’est donc après un demi-siècle d’hibernation que les nouvelles possibilités techniques ont permis de tester expérimentalement en laboratoire ce qu’Einstein et Schrödinger avaient imaginé dans leurs expériences de pensée.

Depuis, les résultats ont confirmé les prédictions de la mécanique quantique et l’intrication est devenue sans doute la notion la plus essentielle de la théorie des quanta. Cependant, indépendamment de son influence croissante non seulement en physique, en technologie mais aussi en philosophie des sciences, la notion d’intrication présente encore aujourd’hui de graves difficultés techniques, mathématiques et conceptuelles. Beaucoup de ces problèmes sont directement liés aux préjugés classiques surimposés au formalisme mathématique. En particulier, certains concepts sont formulés d’après l’exigence (explicite ou implicite) de faire référence à un domaine microscopique constitué d’entités séparables dans l’espace-temps (ce qui conduit ensuite à se heurter à des paradoxes).

Comme nous l’avons déjà exposé ailleurs (Bontems & de Ronde 2011), ces présuppositions ontologiques devraient être considérées comme de redoutables « obstacles épistémologiques » (Gaston Bachelard) que les physiciens, philosophes et ingénieurs auront à contourner pour avancer dans leurs recherches théoriques et technologiques. Afin de lever ces difficultés, nous nous efforcerons, au cours du programme « Repenser l’information quantique et l’intrication à la lumière de Simondon », de considérer une proposition métaphysique spécifique qui, selon nous, pourrait permettre d’aborder le problème de l’intrication dans une nouvelle perspective originale : l’hypothèse de « l’état préindividuel »défendue par le philosophe Gilbert Simondon dans L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information,.

A l’instar de Simondon, définissant l’état préindividuel comme « plus qu’unité et plus qu’identité », il s’agit, à partir d’une interprétation directe des contraintes du formalisme mathématique de la théorie, d’explorer l’hypothèse qu’unerelation physique quantique doit être comprise comme étant « plus qu’inséparabilité » en ce sens qu’elle ne résulte pas del’existence préalable d’entités séparables mais que la relation préexiste et définit par elle-même un spectre d’individuations quantiques potentielles où séparabilité et inséparabilité apparaissent seulement comme des cas-limites.

Ce travail s’appuiera sur des recherches transdisciplinaires antérieures (voir bibliographie) entre le physicien etphilosophe de la physique Christian de Ronde et le philosophe des sciences et des techniques Vincent Bontems. Il innovera par rapport à ces travaux antérieurs en

introduisant une nouvelles hypothèse analogique (« une démarche transductive » dans les termes de Simondon) afin d’éclairer la notion d’intrication sous un nouveau jour et ainsi de permettre une reformulation du concept d’information quantique.

Pour ce faire, dans nos échanges, nous mobiliserons, au sein de la théorie de l’individuation de Simondon, non seulement ses analyses de la « préindividualité » mais aussi celles qui portent sur le domaine « transindividuel », c’est-à-dire la communication entre des sujets psycho- sociaux. Notre espérance est qu’un raisonnement analogique mené à partir des modes de communication les plus complexes permettra de repenser à la fois l’information quantique et l’intrication, et d’offrir de nouvelles pistes théoriques et technologiques.

Ce travail sera aussi l’occasion d’interroger les dispositifs d’infomation quantique en terme de concrétisation, en la distinguant de celle à laquelle on peut assister dans les systèmes d’information qu’il faut bien désormais appeler classiques. Ces derniers, à travers la grammatisation qu’ils mettent en oeuvre des entités considérées – la grammatisation étant la reconfiguration que connaît un mode d’expression via une traduction technique (l’écriture comme grammatisation de la parole, le codage numérique des médias comme grammatisation des objets temporels, etc.) – sont en quelque sorte à rebours d’une concrétisation fonctionnelle, montrant au contraire toujours plus de modularité logicielle et moins d’intégration fonctionnelle. La question sera de savoir si les dispositifs d’information quantique abordent la concrétisation de la même manière et, si la réponse est négative, du fait de quelle caractéristique de ces technologies. 

Équipes : Le laboratoire Connaissance, Organisation et Systèmes Techniques (COSTECH, UTC, UPR 2223) ; Le Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière (Larsim-CEA) et la communauté LOGOS (CONICET-Argentine).

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